Postface de Roger Léveillé, écrivain - essayiste


Dessiner sans dessein


On trouvera peut-être curieux de titrer un texte sur l'écriture par un jeu de mots sur les arts visuels. C'est loin d'être innocent. Dans un recueil de poésie intitulé Dess(e)in où j'allie justement l'écriture et le dessin, je propose cet art d'écrire :


Rien de plus simple. Prendre papier.

Trouver encre. L'œuvre est sa propre substance


J'y reviendrai.

Il existe des écoles des beaux-arts où les étudiants à vocation apprennent certains rudiments des arts plastiques. Cela ne garantit pas des artistes parmi les diplômés. Il se trouve des écoles de théâtre où les dramaturges peuvent développer l'écriture pour la scène. D'excellents dramaturges y sont passés. Pourtant ni Samuel Beckett ni Michel Tremblay n'en sont issus. Il n'existe pas, à cet égard, d'école de romanciers. On offre certes, des cours d'écriture littéraire, il se trouve des ateliers d'écriture - ce que vous tous connaissez peut-être - où certaines techniques et pratiques peuvent être proposées en enseignées.


Ici, le but d'un cercle d'écriture est de vous encourager à faire l'expérience de l'écriture. À y trouver agréement. Il n'y a rien à prouver à personne. Il n'est pas nécessaire de "réussir". On est entièrement libre. Il faut y prendre plaisir. Voilà tout.


Songeons à tous ceux qui ont suivi, jeunes, quelques leçons de piano et qui continuent de jouer pour leur propre divertissement; on encore à ceux qu'on qualifie, trop péjorativement de "peintres du dimanche". Tous ces amateurs peignent par pur plaisir. Le dimanche étant, symboliquement, jour de repos, donc jour de liberté. On dit que ces activités constituent un "passe-temps", mais n'est-ce pas bien occuper le temps que de l'engager dans la découverte de ses propres désirs ? Nous rejoignons alors ce qu'affirmait Isidore Ducasse (dit compte de Lautréamont) : " La poésie doit être faite par tous.". Je doute que Ducasse souhaitât réellement que tout le monde se mette à composer des vers, mais il a ainsi démocratisé la poésie longtemps considérée le domaine privilégié d'une élite. Avant tout, je crois, il invitait les gens à développer une "attitude poétique" : voir de ses propres yeux, faire une expérience littéralement existentielle de la vie, en dehors des formules et des paramètres établis.


Il est certain qu'il faut d'abord écrire pour soi, car il me semble évident que la littérature, si elle peut changer le monde, doit d'abord transformer celui qui écrit. Ce n'est pas tant une question de remédier à un manque que de laisser son moi intérieur s'exprimer. Le grand Shitao, artiste et poète de la dynastie Wing affirmait : "Les gens croient que la peinture et l'écriture consistent à reproduite les formes et la ressemblance. Non ! le pinceau sert à faire sortir les choses du chaos." Bien sûr, ceux qui entreprennent la pratique engagée d'une discipline artistique cherchent non seulement à exprimer leur être, mais aussi à atteindre quelque chose qui serait une vision du monde. Toutefois, il n'y a pas de voie particulière pour rejoindre le grand Moi inconscient, pour dire l'indicible, c'est à-dire laisser le Dao apparaître dans ses mille manifestations. La vôtre est parfaite.


Ainsi, Arthur Rimbaud pouvait écrire : "si le suivre s'éveille clairon, n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident : j'assite à l'éclosion de ma pensée: je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène"


Je reviens au début. Comment écrire ?


Rien de plus simple. Prendre papier.

Trouver encre. L'œuvre est sa propre substance


Bonne route, chers amis.


J.R. Léveillé, romancier et essayiste, franco-manitobain, juillet 2021


Poète, romancier et essayiste, J.R. Léveillé (Joseph Roger Louis) est né à Winnipeg en 1945. Il est l'auteur d'une trentaine de livres dont Le soleil du lac qui se couche (prix Champlain, prix Rue-Deschambault), Sondes, Ganiishomong. Soulignons qu'il est lauréat du Prix du Consulat général de France à Toronto 1997 pour l'ensemble de son œuvre oeuvre; du Prix de distinction en arts du Manitoba 2012; du Prix du Conseil international d'études francophones 2015; il a reçu également plusieurs autres distinctions. Cette année, J.R. Léveillé poursuit l'écriture de son prochain roman intitulé Suite.