La communication

Gervoise et Jacquot


Lorsque je suis arrivé dans la famille de mon amoureux du temps en 1958, Jean-Caude avait deux perruches. Un mâle de couleur bleue, prénommé Jacquot et une autre de couleur verte, appelée Gervoise. Il a commencé à leur apprendre à parler. Pour y arriver, il fallait les séparer car selon les experts, il est impossible de le faire les deux en même temps.

Il était habituel de les laisser de temps en temps, libres dans l’appartement, et donc de n’en garder qu’un seul dans la cage pour ces périodes d’apprentissage de langage. En plus, une seule personne de la maison pouvait leur enseigner. Jean-Claude plaçait alors la cage sur la table de la cuisine et il s’assoyait face à elle. Il leur apprenait à tour de rôle au tout début leur nom. Jacquot pouvait dire son nom qu’il prononçait : acquot. Il pouvait dire aussi bonjour : onjour. Beau : o. Faim : in. eau : o. Gervoise : oise. Jean Claude : aude.

Ça m’épatait.


Pour Gervoise c’était mois facile. Elle pouvait dire : oise, Onjour, o, elle pour belle. Mais c’était bien ardu. Ces deux perruches ne parlaient seulement quand Jean-Claude leur demandait et au bout de 2 à 3 ans, Jacquot pouvait dire presqu’une phrase complète.

‘’Acquot, bo, bon, bonjour, aime o, aime soleil.’’


Formidable !

Que de vie ces oiseaux mettaient dans la maison. En plus, ils gazouillaient souvent et on aurait dit que les deux se parlaient. Parfois, ils criaient comme s’ils voulaient que nous ne les oublions pas.

Mais un jour, Gervoise a réussi à se sauver par la porte mal fermée. Malgré nos recherches, aidés de voisins compatissants, nous l’avons définitivement perdue. Puis, le pauvre Jacquot s’est ensuite laissé mourir. Nous avons pleuré.

Nous nous sommes débarrassés de la cage, et n’avons jamais plus racheté d’oiseaux.

Gilles Capistran - retraité - autodidacte - natif de Saint-Robert - Longueuil - Québec - le 4 août 2021

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Quel monde paradoxal


Beauté et laideur, joies et déchirements, voilà ce que l'humain peut faire de la communication.


Naturellement, c'est-à-dire de par notre nature humaine, nous sommes bien équipés pour communiquer. Chacun de nos cinq sens est une ouverture vers l’autre et permet une rencontre particulière. Tes lèvres sur mes lèvres me comblent d'excitation, ton parfum me révèle tes petits secrets, ta respiration à peine audible me rassure, les boucles d'or de tes cheveux étincellent ma vue, et la saveur que tu sais donner à mon mets préféré est une façon que j’ai de te goûter toi-même. Voilà nous sommes ainsi en pleine communion grâce à notre nature commune.


Cette même nature, dont la vitalité physique se maintient par l'échange énergétique avec son environnement, entretient également sa vitalité sociale par la communication avec les autres par la parole et l’écrit. Mais une nuance importante est à apporter.

Je remarque que si le corps refuse d’avaler par instinct tout aliment malsain qui porterait atteinte à sa santé, il en est autrement sur le plan social. En effet, le même instinct est souvent trop passif en regard de notre santé psycho-sociale.

La joie de communiquer peut devenir l'horreur de communiquer. Je pense aux drames qui se trament dans nos si prometteurs moyens modernes de communication, plus précisément dans les médias sociaux où la méchanceté indigeste se cache dans l'anonymat.


Certaines personnes intoxiquées par ces contacts malsains glissent lentement sur la pente conduisant à un état mental de morbidité chronique, sans qu’elles puissent bloquer l’entrée de ses insanités.


Toutefois, ces torts que je viens de souligner seraient beaucoup moins nuisibles si une communication se fasait à visage découvert comme dans un vrai combat, soit de corps à corps.

Notre nature et notre instinct devraient toujours rejeter tout élément de communication compromettant notre bien-être émotionnel.

La communication, vue d’un autre angle me rappelle le mythe de la tour de Babel qui s'est écroulée au moment où Dieu aurait joué de la magie en forçant tous ses bâtisseurs à parler une langue différente de celles de tous et chacun; il s’agit là d’un mythe ou d'une fable bien logique pour ne plus se comprendre.

En dehors de ce récit fabuleux, dans notre réalité la plus pure, concernant des effondrements, on va de surprise en surprise, même quand la langue de communication entre gens est la même pour tous. Je ne retiens qu’un exemple mais qui est de taille : en 1919, à la fin de la première guerre mondiale, les humains ont créé la Société des Nations, (une organisation internationale introduite par le traité de Versailles en 1919, et dissoute en 1946). Cette organisation, promesse de paix durable, s’est effondrée comme une tour de Babel moderne. S’en est suivie la deuxième guerre mondiale, la beauté s’effaçant devant tant de laideurs, et la joie se taisant devant tant d’afflictions et de déchirements.

Je vous en laisse juger par vous-même, quant à moi je nage en plein paradoxe.


Jean-Louis Bonin - ex-professeur - ex-travailleur social - Sorel-Tracy - Québec - le 18 juillet 2021

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Donjon


Au Moyen-Âge, un donjon est la tour la plus haute d'un château, destinée à servir à la fois de point d'observation, de poste de tir et de dernier refuge si le reste de la fortification vient à être prise par un ennemi. Cette tour, ou ce bâtiment fortifié, sert aussi en général de résidence au seigneur du château.

C'était au mois de septembre. Je me rappelle de la dernière carte qu'il m'a donnée à mon anniversaire, il y aura bientôt 35 ans de cela. Le dessin sur la carte était à la verticale. Il représentait un donjon qui s'élevait dans le ciel. En haut de la tour, à la dernière fenêtre, se tenait une princesse qui, les bras levés, semblait appeler au secours.

En bas de la tour, se trouvait un jeune homme dévasté, probablement son prince, qui semblait incapable de secourir sa princesse.

La gravure est venue me chercher. J'ai compris alors que la jeune fille emprisonnée dans la tour, c'était moi et le jeune homme, démuni et impuissant, au pied de la tour, c'était lui. Comme symbole, il n'y avait rien de plus clair. Il représentait bien dans quel imbroglio nous pataugions tous les deux.

Pendant toutes nos années de vie commune, il n'avait jamais su exprimer ses sentiments, jamais su dire sincèrement ce qu'il pensait ou ce qu’il voulait. Mais cette fois, c'est par une ultime carte d'anniversaire ne contenant pourtant aucun mot qu'il a réussi à communiquer réellement avec moi, à exprimer exactement ce qu'il ressentait.

C'était un triste constat d'impuissance. Cette carte d'anniversaire, je ne l'oublierai jamais.

Lorraine Charbonneau - retraitée de la fonction publique CANADA – Résidence Le Marronnier – Laval - Québec - 28 décembre 2020