Les sens 

 

Voir

 

J’ai croisé une biche en faisant du vélo

Elle s’est immobilisée et m’a regardée

Je me suis arrêtée pour l’admirer

Elle s’est enfuie en faisant de petits sauts

 

C’est un cadeau de la vie de croiser la beauté

Au détour

Été dans le guidon, je ne l’aurais pas vue

Et il aurait été bien dommage de la rater 

 

Souvent, nous pouvons être absents à la réalité

Nos corps sont là, mais nos esprits sont distants 

On ne voit pas, on n’écoute pas, on n’a pas le temps

On rate la vie tout en la passant à liker.

 

Alors que sous nos yeux, s’ils voulaient bien regarder

La nature nous émerveille de toute sa splendeur

Et l’écran qui s’offre à nous peut nous enrichir le cœur

N’oublions pas d’ouvrir nos sens à ce qui est tout à côté.

 

Danièle Comparetti - infirmière qui aime écrire - blogueuse - hemodyrea.canalblog.com - Tours - France - le 06 juillet 2023

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Juste avant la nuit

 

Dans la pénombre,

Le cosmos me parle.

La création est juste devant moi.

À mes pieds, devant mes yeux,

Au creux de mon cœur.

Chaque branche, chaque brindille

Distille son essence,

S’offre à moi au crépuscule.

 

La nature généreuse

Avec ou sans spectateur,

Étale sa splendeur.

Elle ne sollicite

Ni l’amour, ni l’admiration.

Elle donne sans compter

Avec joie et profusion.

 

Sur l’eau du chenal,

Pas un souffle, pas une ride.

Comme le visage potelé

D’un petit bébé.

Chaque branche s’y mire.

C’est clair, contrasté, tranché.

On voit chaque détail.

Chaque coup de pinceau de Dieu.

C’est si beau, fabuleux, mystérieux!

 

Je voudrais presqu’y toucher.

M’y incorporer, m’en imprégner.

J’aimerais marcher, danser

Sur cette eau pure et calme.

Ah! patiner parmi les arbres,

À travers le reflet de leurs branches.

Sans effort, glisser

Le long du chenal

Suivre ses courbes, ses méandres.

 

Ne rien chercher, ne rien vouloir

Juste savourer, voir.

Voir les reflets des arbrisseaux

Ressemblant à d’immenses coraux

Allongés en éventail sur le bord de l’eau.

Voir le ciel grisonnant

Et le reflet des nuages sur les flots.

Voir le jour qui s’enfuit

Pour laisser place à la nuit.

 

Francine Grimard - auteure - illustratrice - Ste-Anne-de-Sorel - Québec - le 17 août 2021

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Parenthèse improvisée !

 

Par un superbe après-midi de juin, se mirait le soleil dans l’eau clapotant de la rivière. 

Au quai, les pêcheurs attendaient patiemment que leur souper mordre à leurs appâts.

Au loin, j’entendais les cascades de rires d’enfants aux pas de course vers les pataugeoires du parc, sous l’œil expérimenté des grands-parents, heureux de pouvoir exercer leur rôle à fond.

 

Par dizaines arrivèrent en silence les Jaseurs boréaux dans le feuillage d’un érable orgueilleux de sa nouvelle tignasse, sous lequel échangeaient des amies enchantées de se revoir après des semaines de réclusion. 


Afin de capter des bribes de conversation, des Outardes curieuses à l’ouïe fine étiraient leur long cou noir en se dandinant sur leurs pattes palmées.


Puis, une première sortie en famille pour une douzaine de poussins à la queue leu leu, derrière leurs parents fiers de leur progéniture. Sans se soucier de suivre ses frères et sœurs, un oisillon rebelle bambochait ici et là sous les yeux ravis des spectateurs. Enfin, hop à l’eau avec la fratrie dans la Rivière des Mille-Îles.


Aussi, arrivaient à mes oreilles les propos d’un groupe de personnes assises à deux mètres d’éloignement les unes des autres.

Le confinement exigé des derniers mois avait laissé des traces. Les uns partageaient leur vécu, tandis que d’autres tentaient de gommer leurs souvenirs comme on tâche d’effacer des marques d’encre sur une moquette.

 

Parler de la pluie et du beau temps, de la nouvelle recette de Ricardo, des lunettes du Docteur Horacio Arruda comblait les silences.


Assise à l’ombre, tête penchée sur mon livre, un Allô ! en chœur m’a surprise.

Je lève les yeux. Heureuses d’exhiber leurs trésors, deux petites filles blondes sous leur chapeau de paille me présentent pour une, sa roche, pour l’autre, un coquillage.


-    On en a déjà trouvé d’autres, me confie celle au tatouage en forme de collier au cou.

-    Oui, me confirme son amie au sourire édenté. J’avais trois coquillages l’autre fois !

Leurs mimiques convaincantes m’amusent. Aucune distanciation, aucun masque ! Je suis étonnée de les voir là, tout près de moi.

-   On a oublié d’aller à la Crèmerie, déclare celle qui a les délicates coquilles dans sa main moite.

-   Ben oui !

-   Au revoir ! me claironnent-elles !

-   Au revoir les filles !

 

Elles sont reparties comme elles sont venues !

Une pause en cadeau ! Une pause hors du temps ! Une pause bénéfique !

Alors, je me suis rappelé combien j’aimais la spontanéité des enfants quand je travaillais en tant qu’éducatrice à l’école primaire de mon quartier.  

Les souvenirs comme des coquillages et des roches sélectionnées surviennent toujours au bon moment !


Et puis, le soleil a poursuivi sa trajectoire sur les eaux de la rivière témoin des coïncidences offertes par le hasard.

Je pliai bagage, heureuse de ma décision d’avoir choisi ce parc pour me reposer.

La vie nous réserve parfois des parenthèses improvisées !  

Le 19 juin 2020


Mention dans le cadre du projet C'est à ton tour d'écrire s'envole au Théâtre La Doublure de Sorel-Tracy , texte lu  par Jessica Charland lors de la  représentation du 24 novembre 2022. - MB


Louise Gagné - retraitée de la Commission scolaire Rivière du Nord - Boisbriand - Québec - le 18 juillet 2021

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Le désordre des sens 

La confusion (l’intuition peut-être?), mène vers des choses étonnantes : ainsi ce qu’on appelle synesthésie (perception simultanée), et qui est le désordre des cinq sens, vision, ouïe interconnectées, goût, toucher et odorat aussi, quoique plus rarement. Sensations mêlées. Il arrive qu’on l’emploie de façon naturelle lorsqu’on parle d’une teinte (vue) criarde (ouïe) ou au contraire froide (toucher).

 

Une ou un synesthète vit dans un monde différent, discernant par exemple des couleurs en entendant des notes de musique. On étudie actuellement cette étrange propriété... qui devrait faire notre envie. Peut-être y a-t-il une poésie vibrante là où la science ne voit qu’un problème neurologique :

« manifestation d’une double sensation sous l’influence d’une stimulation unique » ?

 

La jeune auteure québécoise Élyse Poudrier a titré ainsi son dernier livre : « Ne me regarde pas sur ce ton! »; Baudelaire écrit que « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent »; et Chateaubriand : « Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois ». Rimbaud, lui, apprend à quelqu’un dans une lettre qu’il devra « faire sentir, palper » ses créations poétiques; plus tard il parle « d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens ».

 

Nino Ferrer en 1969 :

             La maison près de la fontaine

              Couverte de vigne vierge et de toiles d’araignées

              Sentait la confiture et le désordre

               Et l’obscurité

              L’automne, l’enfance, l’éternité…

 

« L’obscurité, a écrit un internaute, ça n’a pas d’odeur! » Mais oui, cela peut en avoir une… avec la synesthésie.

 

© Gislaine Lavoie - écrivaine - Cap-Rouge - Québec - a remporté le Genêt d'or, un prix de poésie lyrique remis par l'Académie des jeux Floraux de Perpignan en mai 2019 (le jour de ses 80 ans), première non européenne à recevoir ce Genêt d'or, un prix de poésie d'une académie française qui a déjà récompensé Victor Hugo et François-René de Chateaubriand - le 4 juin 2021

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