Autobiographies

Dominique Rochefort

Le poisson concierge

Le texte qui suit provient d’un artiste-peintre d’origine française, établi à Sorel-Tracy, Dominique ...Amoureux de la mer, il nous livre une tranche de ses aventures à bord de son voilier. L’ATHANOR, écrit-il, est un « cotre de 28 pieds, plan de Van De Stadt, super alizé en route, encalminé dans la zone du Pot-au-Noir, près de l’île de Malpelo, entre Panama et les îles Galapagos, dans l’océan Pacifique. » Il s'agit là d'un extrait de son journal de bord.

Ce jour-là, le vent continue à manquer depuis quatre jours et la température s’est réchauffée. Pour occuper ma matinée, bien souvent, je godille. Mais ce jour-là à un jet de pierres devant moi, apparaît des ondes circulaires. Je m'approche à la godille : une pyramide recouverte d'algues et de corail capte mon attention. Maintenant tout près de ce mystère, j’aperçois la forme d’une gigantesque boîte; c’est un conteneur. Quelle surprise ! Celui-ci flotte avec seulement un coin émergeant à la surface limpide de l’océan, tel un iceberg.

Ma curiosité piquée au vif, je sors mon équipement de plongée, voilà une activité qui va briser la monotonie de cette journée. Je saute à l'eau. Amarré au bateau avec une ligne de vie, j'avance en direction de mon objectif. Je suis émerveillé en découvrant ce cube de métal maculé de corail semblable en tout point à un récif et tout autour, des poissons multicolores menant une existence animée. Je les imagine bien dans mon menu. Je plonge pour en harponner un qui me paraît de bonne grosseur, puis un autre, je me sens en appétit, au diable la modération. Je jubile d’avance à l’idée d’améliorer mon ordinaire. Je passe un excellent moment et remercie la Providence pour cette manne zigonnant autour de cet écrin vivant. Ce conteneur doit être là depuis un sacré bout de temps, il est de la taille de ceux que les petits caboteurs embarquent pour leur navigation côtière, arrivés ici avec les courants.

À mon retour, j’aperçois mon requin, caché sous la ligne de flottaison du voilier, à ma grande stupéfaction. Encore là celui-ci ? Ventre bleu ! ma pêche ?

Pour ne pas provoquer ce féroce prédateur, je nage vers le tas de ferraille mouvant, maugréant quelques bulles dans mon masque de plongée. Quel gâchis, je rends ces poissons aux grands fonds, tués inutilement et avec la frustration à l'estomac, mais c'est la règle à appliquer dans ce cas. Les squales sont attirés par le sang des poissons; il chargera, avec les conséquences à prévoir si les prises pêchées ne sont pas sacrifiées. Il faut bien revenir à bord en entier. Ce requin me regarde sans bouger, le maudit! Je saisis ma ligne de vie et la fouette en surface comme par dépit. Le monstre fuit dans la seconde me démontrant ses capacités de vélocité. Pensant à une attaque, une poussée d’adrénaline m’envahit jusqu’aux orteils. Sans demander mon reste, je me déhale comme une flèche et embarque, quitte pour une peur GRAND BLEU.

Dominique-François Rochefort - artiste-peintre-graveur - Sorel-Tracy - Québec - le 1er novembre 2020

Enfance

Avant cette anecdote « Le poisson-concierge », je dois vous dire que cette aventure a une enfance.


1950 : mon père est démobilisé de la guerre d'Indochine. La famille s'installe en Afrique Équatoriale française. Il reçoit une affectation à l'aéroport de Maya-Maya, ville de Brazzaville et ma mère à l'OMS. J'ai un an.

Pendant cette période, je fais l'apprentissage de mes premières certitudes. Nous avons un beau jardin entourant notre pavillon : mon royaume en pelouse de paspalum, de haies d'hibiscus, de grands arbres, le tout entretenu par notre jardinier Antoine.

Une véranda recouverte de bougainvilliers est là où nous prenons les repas. Un deuxième bâtiment sert de magasin, et à nos domestiques de vestiaire. Le lavoir, situé en avant de cet édifice est la salle de bains de tout notre personnel.

Ce jour-là, mes parents sont partis au travail comme à chaque matin. Je réussis à tromper la surveillance et après avoir marché avec ma canne à pêche, je rencontre une étendue d'eau « un marigot (*) ». J'exulte. L’après-midi sous cet arbre va être des plus plaisants, et que le plaisir commence!

Pendant ce temps, ma mère rentre de son travail, et tous les serviteurs sont en émoi. Le petit « bwana » (*) a disparu ! Après mon terrain de jeux minutieusement exploré par toute la maisonnée, elle fait prévenir mon père à son travail ainsi que les voisins. Tous se réunissent et décident d'inspecter les environs et questionner les natifs. À l'approche de la nuit, la tension s'installe. Nous sommes isolés dans la nature entourée de champs d'arachides et de manioc. Au-delà, est la brousse avec tous les dangers que constitue la faune pour un enfant haut comme trois mangues.

Alertés, les gendarmes organisent une battue. De mon côté, les choses se présentent bien, je ferre mon premier poisson. Alors là mes amis ! mon cœur ne fait qu'un tour. Je vais pouvoir entrer à la case et faire voir à mon père qu'il peut être fier de son fils. Mais l'histoire en décide autrement.

Des bruits insolites brisent le chant des insectes, les oiseaux s'envolent à tire-d'aile, des voix à l'unisson parviennent à mes oreilles. Je me lève, frappé de stupeur.

Jailli quelqu’un derrière un fourré le verbe haut, mon poisson encore accroché à l'hameçon, je suis saisi sans ménagement par une main, et entraîné sans égard perdant alors ma prise. Je suis dépité.

Ma mère : « Te rends-tu compte de ce que tu as fait ?»

Une scène des plus effrayante se met en place autour de moi, des personnes que je ne connais pas, des gendarmes, tout comme pour le retour de l'enfant prodigue : ma mère en larmes dans les bras de Colette son amie, mon père remerciant les autorités et l'entourage arrivés en renfort.

En bref, quand ma mère me raconte cette histoire, un mélange de compréhension et de fierté me traverse l'esprit, J’ai alors 4 ans.

À la suite de cet événement, je suis étroitement surveillé et je prends conscience que j'ai fait de la peine à mes proches, et ai choqué beaucoup de gens. Mais aussi que je suis un héros parmi les camarades de mon âge dans le voisinage et à la maternelle.

Les plus belles aventures de mon enfance ne se sont pas arrêtées là.

Mon père ayant compris mon désir de liberté, mes parents décident de me mettre en pension dans une famille de forestiers, habitant dans une grande case sur pilotis construite par Jacques, dans une clairière de la forêt du Mayumbe(*). J’ai vécu plusieurs saisons sèches (juin-septembre) avec mes amis Paul et Gisèle, les enfants de Jacques, en plein cœur de la jungle tropicale.


Jacques est patron d'une concession de coupe de bois qui sont transportés vers le port de Pointe-Noire au Gabon. C'est la fête à chacun de ses retours. Il revient avec des cadeaux pour tous, trouvés pendant l'abattage des arbres, soit des plantes, soit des fleurs pour le jardin de Nadine, son épouse, ou des animaux à soigner pour nous les enfants. La propriété est un vrai paradis. Tôt, car nous ne flânons pas au lit, les activités ne manquent pas. Après le repas du matin, mes amis et moi allons nourrir et traiter les nombreuses petites bêtes de leurs blessures, pour les rendre à leur milieu naturel après leurs convalescences. Les singes et autres mammifères, ainsi que les oiseaux accidentés par la chute des arbres restent séparés dans un enclos. Notre favorite est une biche que nous couvrons de caresses et de fruits au retour de nos randonnées.

Après, nous sommes libres de jouer autour de la maison. Un jour, Paul m’entraîne, suivi de Gisèle dans la forêt, celle-ci ne partage pas avec joie, cette escapade, ce qui excite encore plus ma curiosité.

Je suis un explorateur : les odeurs des plantes, des fleurs et le gigantisme des arbres, l’ivresse est à son paroxysme dans cette cathédrale de verdure. Je suis Paul de toute la force de mes petites jambes, Gisèle fermant la marche. Elle est la plus âgée de nous trois, elle nous prend pour ses enfants à protéger de tous les dangers, (son aventure de fille). Parfois, Paul l'écoutait pour lui faire plaisir, me disait-il.

Il s’arrête net au sommet d'un monticule. Arrivé à sa hauteur quelle ne fut pas ma surprise ! De droite et de gauche, une voie ferrée pareille à un zip dans la jungle. C'est ainsi que je découvre la ligne de chemin de fer Congo-Océan (*)

Paul m'explique : « C'est par ce chemin que le bois coupé par mon père (Jacques) traverse la forêt. Mais Paul a une autre surprise pour moi.


Paul : « Allons chercher des branches pour les mettre sur la voie ferrée »

Gisèle : « Tu ne vas pas recommencer, papa ne sera pas content! »

Ce dialogue me donne de l’ardeur à la tâche pour choisir les plus grosses branches.

Paul : « Et maintenant cachons-nous et attendons ».

Bien à l'abri que Paul a choisi, il me parle en me disant à voix basse :

« Tu n'as jamais vu ça, sois patient »

Gisèle me glisse dans le creux de l'oreille:


« Promets-moi, Dominic, de ne jamais parler de cette bêtise devant mes parents, il nous priverait de liberté, et toi, Paul que tu ne recommenceras pas ce jeu-là. »

Paul met sa main à sa bouche.

Un bruit de ferraille se fait entendre. Et de notre cachette, je peux apercevoir un petit véhicule sur la voie de chemin de fer. J'observe la scène, le cœur palpitant. La pétoire arrête devant l'obstacle, deux hommes descendent et sans efforts dégagent ce que nous avons eu tant de mal à établir.

Puis, ils remontent sur leur engin et dans une accélération fumante et accompagnée d'un sifflement strident, ils disparaissent dans ce layon de nature exubérante.

Gisèle : « Mon père nous a dit qu'il s’agit d'une draisine et que si nous faisons des mauvais coups, il finirait par le savoir, car nous sommes les seuls habitants à demeurer si proches du chemin de fer. »

Sur ces bonnes paroles, elle détale comme un lièvre suivie de son frère. Surpris, je suis avec un certain retard la cavalcade, je finis par me perdre dans les grandes herbes. Me voilà égaré, je retourne sur mes pas, et croise le bon chemin. À ce moment là, Paul apparaît comme le diable sorti de sa boite, ce qui me fout une frousse pas possible.

Paul, heureux de son effet me dit : « Viens vite, nous allons être en retard pour le repas du midi.

J'aimais beaucoup Nadine, la maman de mes amis. Elle nous voyait toujours débouler dans la salle à manger avec bonheur et ne nous demandait jamais ce que nous avions fait de notre temps libre, une façon de nous rappeler de nous taire à table.

La passion de Nadine était pour les orchidées que son mari lui offrait, lesquelles avaient été sauvées des grumes abattues.

Ils pendent sur les pilotis de la case et sur les arbres aux alentours. Leurs couleurs, leurs beautés fragiles, et la complexité de leurs corolles ne manquent pas de m'ensorceler. Nadine les visite à tous les matins, je l’accompagne en portant ses outils. J'ai découvert une complicité, récompensée par ses sourires.


(*) bwana définition de cette époque: monsieur

(*) marigot : marais dans le milieu tropical

(*) Mayumbe : forêt équatorial estimée en 1950 a 500 000 hectares

(*) Congo-Océan chemin de fer a voie unique de 500 km, relit Brazzaville-Pointe -Noire port sur le bord de l'océan atlantique

moi et mes parents 1954

''Suite de « cette aventure à une enfance »

autobiographie Dominic-François

Mon premier baptême de l'air 1954

Par une belle journée, ma mère m’apprend que je vais bientot

rencontrer ses parents.

« ta grand-mère Bettina et ton grand-père Théophile habitent en

Métropole, c'est un long voyage. Ton père et moi allons

te conduire à Maya-Maya cette semaine »

Du haut de mes cinq ans, je ne m'imaginais pas ce qui allait

être une aventure inoubliable.

Avant le départ une journée d'essayage commence; chaussettes,

pantalon, chandail, et manteau avec un chapeau de laine, gants,

des souliers, moi qui suis accoutré que d'une culotte, et

d'une paire de nouilles(*), je grogne de toutes mes

forces. Enfin le départ! ma valise dans la jeep, la famille prend

la route de l’aéroport de Brazzaville. Mon père me donne

quelques consignes pour me rassurer

« tu vas prendre l'avion, l’hôtesse de l'air s'occupera de tout

ce dont tu as besoin »

À partir de '' prendre l'avion'', je suis dans les nuages, puis

tout s'agite autour de moi et nous voilà sur le tarmac devant


aéroport Maya-Maya Brazzaville

un Douglas DC4 de la compagnie Air France. À l’intérieur du

fuselage se trouve de part et d'autre des sièges pour

assoir les passagers. l’hôtesse m'installe près d'un hublot.

Le premier moteur démarre dans un panache de fumée suivi

d'une pétarade épouvantable, puis le deuxième à son tour.

L’agent de bord me donne des friandises et la personne près de

moi me demande si j'ai peur

« Bien sûr que non! lui répondis-je, avec assurance

L'appareil quitte son stationnement pour s'aligner sur la

piste, je surveille toutes ces manœuvres avec intérêt. La

sensation au décollage me surprend par ses vibrations suivies de la montée dans les airs. Le bruit

finit par s'estomper et mes oreilles bourdonnent, l’hôtesse me console avec un bonbon. La tension des passagers tombe.

Je meurs d'envie de visiter la cabine de pilotage.

Le copilote m'assoit sur son siège devant les commandes de

l'avion, l'émotion et à son comble, je suis tellement impressioné que j'en ai des fourmis dans la tète. Quelques heures après,

nous atterrissons à l'aéroport de Fort-Lamy(*). Je me suis

envolé vers Alger, puis Marseille Marignane et Orly.

Mon père fonctionnaire de l'aviation civile pouvait me faire voyager avec

un service d'accompagnement. Je suis étroitement surveillé par une

hôtesse qui me dirige vers l'aéroport parfois sur les épaules du

pilote chaque fois je suis le premier a embarquer

jusqu'à Orly où je suis confié à mes grands-parents

Je voudrais que ce baptême de l'air ne se termine jamais, mais voilà ma

grand-mère et mon grand-père qui viennent m’accueillir, je suis

embrassé, enlacé, questionné, étouffé enfin nous repartons en autobus

vers Montparnasse Paris. Sur le quai de la gare, je fais un

saut face à ce monstre de ferraille appelée « locomotive » fumant

de toute part, enveloppée de vapeurs blanches en forme de

volutes, de sibilations, ou s'affairent des hommes aux visages

pleins de cambouis sorti de l'enfer. Le départ s'annonce à coup

de sifflets stridents et de puissants éternuements de la machine, le

convoi s'ébranle. Tout ce beau monde s'installe dans le

compartiment, ou se mélange odeur du bois vernis et fumée de charbon. Nous faisons

connaissance avec nos compagnons de voyage. mais le

paysage qui disparaît et défile rapidement devant moi finit par

avoir raison de ma fatigue. Après un petit somme, je me colle le

nez sur la vitre et je m'enivre de verdure, que je trouve un peu

pâlotte. Le monde s'agite tout d'un coup sans que je sache

pourquoi, je pense à de nouvelles coutumes locales. Panier

d'osier et serviette rouge et blanche, ma grand- mère

installe sur la petite table dépliée, des victuailles que je ne

connais pas. Ainsi de nouveaux mots apparaissent synonymes

d'odeurs appétissantes et de senteurs fortes. Le monde s'affaire,

s'agite, se questionne, et partage. Une scène locale comme celle

que j'ai vu au Congo dans les villages. Je goûte tout, jambon,

pâté, salades. Mais le fromage qui pue me laisse

dubitatif, ma grand-mère m'en prépare sur du pain, tout le

monde attend ma réaction, mon instinct me dit de goûter

pour ne pas paraître trouillard. Passer l'odeur je trouve ce

fromage très bon, et tout le monde en cœur chante.

« Il est des nôtres c'est un français comme les autres! »

Mais quand j'ai voulu goûter à leur jus de raisin, je me suis fait

dire que cette épreuve sera pour plus tard; drôle de coutume!! Le

voyage continu ponctué de son perpétuel claquement de roues

et le bruit de la locomotive. Plus tard, je partage le gâteau de ma

grand mère, un délice, nos regards s'entrecroisent avec des

sourires complices, à ce jour elle est entrée dans mon cœur.

J'aperçois un grand édifice bizarre comme la Basilique sainte-

Anne-du-Congo de Brazzaville(*), mais avec deux clochers. Le

train se faufile entre les maisons, suivit de longs coups de

sifflets, il finit sa course puis s'arrête.

« Chartres! Chartres! Tout le monde descend »

à suivre....

(*) nouille, sandales en plastique

(*)Fort-Lamy ancienne capitale du Tchad maintenant appelé '' N'DJAMENA''

(*) consacré 1 novembre 1949 la veille de ma naissance, lieu de ma première communion


Dominique-François Rochefort - artiste-peintre-graveur - Sorel-Tracy - Québec - le 19 novembre 2020

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